Lettre Lasnier: Jeudi, 27 septembre 1792, Sion en Valais lettre à sa soeur
Ma chère sœur,
Il y a aujourd’hui huit jours, qu’a quatre heures du soir, j’entrai en Savoie et dès ce moment j’écrivis à M. de Pémoret qui vous aura sans doute communiqué ma lettre, comme je l’en priais. S’il la reçue. Je lui mandais à peu près les circonstances de notre voyage ou nous avions éprouvé des menaces, des grossièretés quelque part, des consolations et des faveurs dans d’autres endroits, enfin que nous étions arrivés sans aucun mal. Dès le soir nous nous rendîmes chez un bon curé de Savoie qui nous accueillit avec une bonté inexprimable. Des paysans qui nous voyaient étaient presque jaloux de nous aborder et de nous conduire bien loin dans ces chemins difficiles, car nous étions à pied, hors de la grande route, et mon cheval était chargé de nos porte-manteaux. Chacun voulait nous conduire chez son curé et nous plaignait des brigandages qui se commettaient, disaient-ils, en France. Nous primes la résolution d’aller à Chambéry, qui n’était qu’a six ou sept lieux de là, mais le lendemain nous apprîmes en route que cette ville qui était sans défense devait être attaquée par l’armée du Midi, et nous crûmes prudent de rebrousser chemin, sans savoir encore ou nous nous rendrions. Nous séjournâmes le samedi dans une auberge, sur la route, et le dimanche matin l’on nous assura que Chambéry était en effet investi. Nous primes le chemin de la Suisse et nous fîmes M. Joly et moi , douze lieues pour nous rendre à un embarquement sur le lac de Genève. Nos compagnons de voyage qui avaient vendu leurs chevaux à Lyon allèrent s ‘embarquer près de Genève et s’exposèrent à une traversée plus longue. Enfin, lundi matin, nous embarquâmes sur ce lac avec nos chevaux et après deux heures nous arrivâmes à Lauzanne, en Suisse. La ville ce jour était pleine de prêtres français, et la première personne que nous rencontrâmes fut M. Labrugière le jeune qui nous cherchait et nous fit part du dessein d’aller chercher asile à Sion, qui était encore éloigné de trente lieues. Ils partirent avant nous, et nous les suivîmes le soir. Nous arrivâmes dans cette petite ville hier tous en bonne santé. M. Labrugière était arrivé dès le matin et fut voir Mr l’évêque, chez qui il soupa. Ce matin nous avons été voir ce saint et vénérable prélat qui nous a fait pleurer d’attendrissement par l’accueil de bon père qu’il nous a fait ; dès demain il placera vicaires ou aumoniers, Messieurs Descombes, Lassarre et les deux Delégnes. Il nous fait préparer des appartements dans l’ancienne maison des jésuites pour huit qui y feront nos dépenses. MM. Labrugière, Ivernaud, Debourges, Lemoine, Bazenerie de Dun, Duperthuis de Chavin, et moi. Bazenerie de Saint-Léger, et Bonnet curé du Chezaud, qui avaient voyagé avec nous, étaient entrés par Genève : ne les ayant pas rencontrés à Lauzanne, nous présumons qu’ils ont gagné un autre canton de a Suisse. Valentin qui nous avait précédés, parce que nous arrivâmes tard à Montlusson à cause des tracasseries qu’on nous chercha à Chatelus, ne m’a pas rencontré, mais je sais par M. Lyssonay de La Châtre, qu’il a traversé sans danger et qu’il peut être passé en Italie par Chamberie avec deux compagnons de voyage des environs de La Châtre. Puisque aucun des ecclésiastiques qui étaient dans cette ville n’y a couru aucun danger et qu’ils se sont tous évadés aussitôt. Je suis inquiet de l’endroit ou il peut être, mais je n’en suis pas étonné, si grand a été le concours. Monsieur S… vous aura fait savoir qu’a cause des menaces que l’on nous faisait de nous dévaliser, il remporta notre argent monnayé, et à moi en particulier, quatorze louis. Cette fausse alerte nous a grandement fâchés, nous voudrions avoir notre argent, mais nous aurons du crédit en attendant que nous trouvions un moyen de le faire venir par lettre de change de Sion. Nous sommes dans un pays heureux ; le mal est d’être si éloigné et de ne pouvoir pas avoir souvent de vos nouvelles, mais nous avons trouvé la paix, et il paraît bien que Dieu lui-même nous y a conduit. Sion est à soixante lieues au-delà de Lyon ; mon petit cheval m’y a très bien conduit. Il est las. Je vais m’occuper de le vendre, ou peut-être le garderons-nous en commun ainsi que la jument de M. le prieur qui sont les deux seuls chevaux que nous ayons hasardé de passer et nous nous en sommes fort bien trouvés. Il peut se faire que nos lettres parviennent difficilement à cause de la guerre qui empêchera la sortie des frontières, c’est pourquoi j’écrirai par plus d’un endroit à Fresselines, à Guéret, à Montchevrier ; lorsque ma lettre vous sera parvenue, faites en part à tous mes amis que j’ai tous dans mon cœur.
Que Valentin m’écrive sur le champ les amples nouvelles qui vous regardent tous. J’embrasse ma mère du plus profond de mon cœur. J’attribue à ses prières la paix que nous avons trouvée ; qu’elle soit très tranquille sur mon sort. Quoique vous ne receviez pas souvent de mes nouvelles, j’espère jouir d’une bonne santé par la tranquillité que j’éprouverai. Il faudra affranchir vos lettres jusqu'à Genève. Elles ne parviendraient pas sans cela, je le crains. Voilà mon adresse :
M. Lasnier, prêtre à Sion, en Valais, par Lyon et Genève, à Sion.
Adieu, chère sœur, adieu à mes nièces et neveux. Je vous souhaite la paix. Le papier me manque, je finis. Salut à Mlles Laboisette.
Lasnier-Confolent
Sources: extrait du livre de l'Abbé Leclerc "Martyrs et confesseurs de la foi du diocèse de Limoges pendant la révolution française"
Editeur V. H. Ducourtieux, Limoges
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