Lettre Lasnier: 29 novembre 1792, Sion à son frère
J’ai reçu, cher frère et bon ami, avec bien du plaisir votre lettre du 16 dernier. Je suis venu à Sion pour vous faire cet réponse. J’avais pensé depuis longtemps à vous faire passer ma procuration pour opérer la vente de mes effets. Peut-être sera-t-elle inutile, mais les précautions sont toujours bonne à prendre et je vous l’envoie aujourd’hui. J’ai désigné les personnes, parce qu’une procuration en blanc aurait pu se perdre et tomber en abus ; faites en l’usage qu’il vous plaira à votre profit et à celui de M. de Pémoret. Pour ce qui regarde le champ du Blanc, je me suis repenti de ne lui avoir pas vendu avant mon départ, mais les troubles étaient pour lors tels dans mon âme que je n’avais pas la force de rien penser ni proposer. Je balançais entre l’espoir de sortir sans danger et la crainte d’être maltraité aux frontières. J’ai cru un moment aller au-devant de la mort que je croyais certaine. Enfin, Dieu m’a préservé, que ce soit pour sa gloire et pour mieux assurer mon salut.
Je n’ai encore reçu aucune lettre de Nouzerolles, mais je m’en rapporte à celle que vous m’adressez. Je suis fâché que ma mère ne sache pas encore ma sortie et qu’elle ne soit pas quitte de la surprise qu’elle en aura, je voudrais aussi qu’elle fut chez vous pour se distraire un peu. Les événements ne paraissent pas nous promettre un prompt retour, mais bénissons Dieu et mettons le tout entre ses mains ; il se réserve peut-être d’opérer seul notre justification, et il ne veut pas se servir du cruel instruments des guerres sur lequel trop de monde mal à propos ont mis leur confiance. Il nous tiendra compte de ce que nous souffrons pour lui ; mon apport de ce coté ne sera guère abondant, car je souffre peu et suis dans une aisance relative.
J’ai reçu une lettre de M. de Pémoret, à laquelle je ne réponds pas aujourd’hui. J’en ai reçu une de l’abbé Vallentin qui est à Botterens, à vingt lieues de moi.
Il paraît qu’il aime à courir plus qu’à se fixer. Je n’ai pas encore besoin d’argent, mais il pourrait se faire que les voies se fermassent en un temps ou nous ne nous y attendrions pas. En conséquence, je vous prie de mettre à la poste et de faire enregistrer dix louis.
Nous sommes toujours ici un grand nombre et peut-être que le sénat prendra des mesures pour le diminuer, la récolte des grains ne pouvant guère fournir que les habitants du pays.
J’ai vendu votre cheval 129 francs, selle et bride comprises. Cela fait 214 francs en assignats. Il est près de nous. Je conserve la faculté de le racheter. Ecrivez-moi souvent, c’est pour moi une grande satisfaction. Je suis plus en peine de vous que j’ai laissé dans les troubles de la France que vous ne devez l’être de moi qui suis dans un endroit de paix.
Envoyer-moi une feuille de papier timbré pour que je vous envoie quittance de mon titre clérical comme l’a fait Bazénerie. Consolez-vous dans le cas ou vous seriez privé des biens de La Celle. Ne tenons à rien de ce monde pour mieux tenir au ciel.
J’embrasse tous mes parents et amis, spécialement mon fondé de procuration Dupeyrat à qui M. Javis, ancien vicaire de Crozant, fait ses compliments. Mandez-moi, s’il vous plait, le détail des nouvelles du pays sur la cherté des grains qui me perce le cœur. Faites au nom de Dieu toute l’aumône que vous pourrez, elle ne saurait vous appauvrir que pour un moment. Dieu vous en dédommagera. Comment se portent ma belle-sœur, mes neveux et nièces ? Combien avez-vous fait de pièces de vin ? Adieu, cher frère. Je prie pour vous, priez pour moi. Tous nos messieurs vous saluent. J’écris dans la chambre de M. de la Brugière. J lui laisse la lettre pour vous l’adresser. Il est tard pour me rendre à Lens. Faites passer celle de M. Jolly à son adresse. En avez-vous retiré une de lui pour sa mère, il y a huit jours ?
Lasnier, curé de Montchevrier.
Ma lettre signée, je me décide à coucher à Sion et j’allonge ma conversation avec vous. Je voulais vous envoyer un billet antérieur au 1er avril 1792, mais il y aurait peut-être des difficultés.
Il faudra, dans le cas qu’il soit besoin de vendre mes effets, m’envoyer aussi une feuille de papier timbré pour quittancer la somme qui en sera l’objet. Si vous faites transporter mes meubles chez vous, faites passer ma fontaine à Nouzerolles ou il n’y en a pas, ainsi que ce qui pourrait convenir à notre sœur. J’espère de plus en plus qu’il nous sera facile un jour de les replacer et de nous voir mutuellement les uns chez les autres. Votre fils se retirera sans doute avec vous pendant un temps ; vous aurez à vous occuper chez vous et à réparer ce que votre absence à mis en arrière. Vous vous plaigniez du mauvais temps, il n’en n’est pas de même ici, il fait un très bel automne et les blés sont très beaux. Le pain ne vaut que 2 s. 6 d. la livre, et le vin 6 l la pinte sur le pied de chez nous.
Si à l’occasion de quelque mort ou autrement quelqu’un de chez nous ou de La Souterraine avait des messes à faire acquitter, vous pourriez nous en envoyer le tableau et en recevoir la rétribution. Nous sommes quatre qui les acquitterions. J’avais quelques messes à acquitter et qui le sont. Effacez-les de mon registre qui est à Montchevrier, ou je les avais inscrites. Je dis la messe pour ma paroisse tous les dimanches et fêtes, à neuf heures, je vous exhorte à y assister d’esprit et d’intention. Vous y avez bonne part. J’ai perdu, en passant à Lauzanne, une partie de mon portemanteau. Il me faudra remplacer quatre chemises perdues, une veste d’hiver.
Sources: extrait du livre de l'Abbé Leclerc "Martyrs et confesseurs de la foi du diocèse de Limoges pendant la révolution française" Editeur V. H. Ducourtieux, Limoges
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